Paul Hazard — La pensée européenne au XVIIIe siècle 243
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Paul HAZARD
(1878 -1944)
La pensée européenne
au XVIIIe siècle
De Montesquieu à Lessing
Un document produit en version numérique par Pierre Palpant, bénévole,
Courriel : ppalpant@uqac.ca
Dans le cadre de la collection : “ Les classiques des sciences sociales ”
fondée et dirigée par Jean-Marie Tremblay,
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi
Site web : http : //www.uqac.ca/Classiques_des_sciences_sociales/
Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque
Paul -Émile Boulet de l’Université du Québec à Chicoutimi
Site web : http : //bibliotheque.uqac.ca/
Un document produit en version numérique par Pierre Palpant, collaborateur bénévole.
à partir de :
LA PENSÉE EUROPÉENNE AU XVIIIe SIÈCLE
de Paul HAZARD (1878 - 1944)
Librairie Arthème Fayard, Paris, 1979, 470 pages.
1e édition : Boivin et Cie, Paris, 1946.
Polices de caractères utilisée : Times, 12 et 10 points.
Mise en page sur papier format LETTRE (US letter), 8.5 x 11’’
[note : un clic sur @ en tête de volume et des chapitres et en fin d’ouvrage, permet de rejoindre la table des matières]
Édition complétée le 15 août 2005 à Chicoutimi, Québec.
T A B L E D E S M A T I È R E S
Table des matières analytique
[css : table succinte pour liens :
Préface
PREMIÈRE PARTIE : Le procès du Christianisme
I. — La critique universelle. — II.Le bonheur. — III. La raison. Les lumières. — IV. Le Dieu des Chrétiens mis en procès. — V. Contre la religion révélée. — VII. L’apologétique. — VIII. Les progrès de l’incrédulité. Le jansénisme. L’expulsion des Jésuites.
DEUXIÈME PARTIE : La cité des hommes
I. La religion naturelle. — II. Les sciences de la nature. — III. Le droit. — IV. La morale. — V. Le gouvernement. — VI. L’éducation. — VII. L’encyclopédie. — VIII. Les idées et les lettres. — IX. Les idées et les mœurs
TROISIÈME PARTIE : Désagrégation
I. Le devenir. — II. Nature et raison. — III. Nature et bonté. L’optimisme. — IV. La politique naturelle et le despotisme éclairé. — V. Nature et liberté : les lois sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses. — VI. Le sentiment : uneasiness ; potencia sensitivita en el ombre. — VII. Le sentiment. Primitivisme et civilisation. — VIII. Diderot. — IX. Les déismes : Bolingbroke et Pope. — X. Les déismes : Voltaire. — XI. Les déismes : Lessing.
CONCLUSION : L’Europe et la fausse Europe]
PRÉFACE
p.7 Il n’est guère de chapitre de cet ouvrage qui ne soulève des problèmes de conscience ; il n’en est guère qui n’enregistre des vibrations qui se sont prolongées jusqu’à nous. Non pas que tout commence en 1715 ; nous avons nous‑mêmes dans une précédente étude, daté des environs de 1680 les débuts de la crise de la conscience européenne ; d’autres ont montré, depuis, par quelles routes la pensée de la Renaissance rejoignait celle du dix‑huitième siècle [1]. Mais à partir de 1715 s’est produit un phénomène de diffusion, sans égal. Ce qui végétait dans l’ombre s’est développé au grand jour ; ce qui était la spéculation de quelques rares esprits a gagné la foule ; ce qui était timide est devenu provoquant. Héritiers surchargés, l’Antiquité, le Moyen Age, la Renaissance, pèsent sur nous ; mais c’est bien du dix‑huitième siècle que nous sommes les descendants directs.
Mais le soin d’établir des rapports et de tirer des conclusions, nous le laissons à d’autres. Nous n’avons pas voulu jouer le rôle de prophète du passé ; encore moins de doctrinaire ; encore moins de partisan. Les faits, non pas tels qu’ils auraient dû être, tels qu’ils auraient pu être, mais tels qu’ils ont été : voilà seulement ce que nous avons cherché à saisir. Nous n’avons pas eu de loi plus impérieuse que de les rendre dans leur vérité objective ; nous n’avons pas eu de souci plus cher que d’être fidèle à l’histoire.
Le spectacle auquel nous avons assisté est celui‑ci. Une grande clameur critique s’élève d’abord ; les nouveaux venus reprochent à leurs devanciers de ne leur avoir transmis qu’une société mal faite, p.8 toute d’illusions et de souffrances ; un passé séculaire n’a abouti qu’au malheur, et pourquoi ? Aussi engagent‑ils publiquement un procès d’une telle audace, que seuls quelques enfants perdus en avaient établi les premières pièces obscurément ; bientôt paraît l’accusé : le Christ. Le dix‑huitième siècle ne s’est pas contenté d’une Réforme ; ce qu’il a voulu abattre, c’est la Croix ; ce qu’il a voulu effacer, c’est l’idée d’une communication de Dieu à l’homme, d’une Révélation ; ce qu’il a voulu détruire, c’est une conception religieuse de la vie. D’où la première partie de cette étude, Le procès du Christianisme.
Ces audacieux reconstruiraient, aussi ; la lumière de leur raison dissiperait les grandes masses d’ombre dont la terre était couverte ; ils retrouveraient le plan de la nature et n’auraient qu’à le suivre pour retrouver le bonheur perdu. Ils institueraient un nouveau droit, qui n’aurait plus rien à voir avec le droit divin ; urne nouvelle morale, indépendante de toute théologie ; une nouvelle politique, qui transformerait les sujets en citoyens. Afin d’empêcher leurs enfants de retomber dans les erreurs anciennes, ils donneraient de nouveaux principes à l’éducation. Alors le ciel descendrait sur la terre. Dans les beaux édifices clairs qu’ils auraient bâtis, prospéreraient des générations qui n’auraient plus besoin de chercher hors d’elles‑mêmes leur raison d’être, leur grandeur et leur félicité. Nous les suivrons dans leur travail ; nous verrons les projets et les substructures de leur ville idéale, La cité des hommes.
Pourtant il ne faut pas étudier les idées comme si elles avaient gardé, dans leur développement, la pureté de leur origine, et comme si elles avaient préservé, dans la pratique, la logique inflexible de l’abstraction. Les époques successives ne laissent jamais derrière elles que des chantiers abandonnés ; chacune se décompose avant qu’elle ait fini de se composer ; d’autres arrivants la pressent, comme elle avait pressé ceux qu’elle avait trouvés sur place ; et elle s’en va, laissant après elle, au lieu de l’ordre qu’elle avait rêvé, un chaos qui s’est accru. Nous allons avoir affaire aux esprits les plus clairs qui aient jamais été : ils n’en ont pas moins laissé, dans leur philosophie transparente, des contradictions dont le temps profitera pour exercer sur elle son action corrosive. Au lieu de réduire des idées vivantes à quelques lignes trop simples, nous devrons faire une part à l’imperfection qui s’est glissée dans leur perfection idéale, et nous aurons à rendre compte, non seulement de la façon dont une doctrine veut p.9 s’établir, mais du devenir inexorable qui l’emporte. Ce sera la troisième partie de notre tâche : Désagrégation.
Pour limiter un champ dont personne ne dira sans doute qu’il était trop restreint, nous n’avons considéré qu’une seule famille d’esprits. L’abbé Prévost de Manon Lescaut, le Richardson de Paméla et de Clarisse, le Gœthe de Werther, nous les avons nommés, mais seulement à titre de contrepartie ; nous ne les avons pas étudiés ; nous avons volontairement ignoré les représentants de l’homme sensible ; nous n’avons pas suivi le fleuve tumultueux qui coule aussi à travers le dix‑huitième siècle. Nous nous sommes borné aux Philosophes, aux Rationaux. Âmes sèches, et dont la sécheresse a fait surgir, par contraste, les passionnés et les mystiques. Âmes combatives, et qui n’entraient pas volontiers dans les psychologies adverses. Âmes que n’ont pas émues la forêt, la montagne ou la mer ; intelligences sans merci. Caractères qui n’ont pas atteint les cimes jusqu’où se sont élevés un Spinoza, un Bayle, un Fénelon, un Bossuet, un Leibniz. Des épigones de ces génies sublimes. Mais écrivains de génie, eux aussi ; et acteurs de premier plan, dans le drame de la pensée. Ils n’ont pas voulu, lâchement, laisser le monde comme ils l’avaient trouvé. Ils ont osé. Ils ont eu, à un point que nous semblons ne plus connaître, l’obsession des problèmes essentiels. Les occupations, les divertissements, les jeux, la dépense même de leur esprit, ne leur ont paru que secondaires à côté des questions éternelles ...
Hel-Mag